1893

 

 

Dimanche 1er Janvier

Pierre Petit promu officier de la Légion d'Honneur. Matin été à l'Institut. Déjeuner à la maison avec Henri et Laure et Pierre Petit. H. et L. retournent à Rouen par le train de 1h. Visite à la Visitation, chez Geneviève, P. Puiseux, M. Olléris, cartes portées (voir détail agenda). Visite à Pascal.

Lundi 2 Janvier

9h matin Départ pour Rambouillet avec Charles, Louise, Henri Paul et André. Après déjeuner chez les Lambert été patiner sur le lac; excellente journée belle glace vaste espace, 3 heures de patinage. Nous repartons par le train de 5h Retour à la maison 6h1/2.

Mardi 3 Janvier

Matin leçon générale d'équitation mais Louise un peu fatiguée de sa journée de la veille n'y vient pas. Sont présents: Henri et Joseph Petit, H. Deltombe, Henriette et Jean Malassez, Charles, Henri, Paul et moi. Les chevaux très vifs, quelques chutes: Jean, Joseph, Henri et Paul. Henri, Pierre, Joseph Petit, H. Deltombe déjeunent à la maison. Après déjeuner été patiner à Fontenay/Bois: H. Deltombe, J. Petit, Henri, Paul et moi. Charles attendant son frère André qui n'était pas prêt manque le train et revient à la maison avec son frère.

Mercredi 4 Janvier

Matin service de bout de l'an de ma tante Jannet à St Etienne du Mont. Après-midi été avec Sophie à Ste Barbe pour présenter Charles au Directeur comme demi-pensionnaire.

Vendredi 6 Janvier

Charles, suivant le désir qu'il en avait exprimé, entre à Ste Barbe comme demi-pensionnaire. Fin des congés du Jour de l'An.

Dimanche 8 Janvier

Je vais avec Paul et André patiner à Fontenay/Bois tandis que Charles et Henri vont à la leçon de danse chez Mme Raulin. Sophie reste à la maison avec Louise un peu souffrante.

Dimanche 15 Janvier

Eté avec Sophie et les enfants à Fontenay/Bois patiner. La grande quantité de neige tombée la veille avait malheureusement abîmé la glace. Journée splendide. Beau soleil. Température -6°.

Lundi 16 Janvier

Le froid augmente et le thermomètre descend à -10°.

Dimanche 5 Février

Réunion des Amants de la Nature, 8 rue Furstenberg. Choix des oeuvres à exposer. Déjeuner à l'atelier.

Jeudi 9 Février

Discussion au Sénat du projet de loi sur la reconstruction de l'Opéra-Comique. Le Sénat repousse le projet du gouvernement voté à l'unanimité par la commission et vote la mise au concours entre tous les architectes français. Voir dans le Journal Officiel du 10 Février le détail de cette importante séance. Principaux orateurs parlant contre le projet dont M. Bardoux est rapporteur: mon Père, M. Dulac et M. Morin.

Vendredi 10 Février

Centième dîner de la Charrette chez Notta.

Samedi 11 Février

Charles et Henri partent pour Rouen où ils vont passer les fêtes des Jours Gras.

Lundi 13 Février

Après midi été à l'Opéra-Comique avec Sophie, Louise et Paul entendre: La Dame Blanche, Le Nouveau Seigneur du Village et le Rendez-vous Bourgeois. Le soir dîner chez Mme Malassez.

Mercredi 13 Février

Le soir à minuit retour de Charles et d'Henri de Rouen.

Jeudi 16 Février

Eté avec Sophie à l'Exposition des aquarelles, rue de Sèze.

Samedi 25 Février

Vernissage Exposition des Amants de la Nature.

Dimanche 26 Février

Eté en matinée aux Français: Hernani, avec Sophie, Charles, Louise, Henri et Paul. Loge offerte par Mounet-Sully. En sortant des Français été voir l'exposition des Amants de la Nature, 8 rue Furstenberg, premier jour de l'exposition. Le soir mon Père, Pierre Puiseux et Béatrice, Adèle et ses enfants, Aristide, Anna et André, Ch. Rivière et Geneviève viennent dîner à la maison.

Jeudi 9 Mars

Après midi été avec Paul et André aux Champs Elysée pour voir le défilé du cortège de la Mi-Carême. Rencontré Etienne et son fils Maurice et M. E. Dupont. Journée splendide et chaude. Fête très brillante la plus brillante que l'on ait vu jusqu'ici. Les enfants Paul et André s'amusent beaucoup à lancer des confettis sur les passants. La bataille est du reste générale et très gaie. Les serpentins ou longs rubans de papier qui avaient fait leur première apparition au Mardi-Gras prennent un développement considérable. A la fin de la journée les arbres du boulevard en sont couverts. L'effet est très pittoresque, très fin, de décoration très joli.

Lundi 13 Mars

Passé la journée à Cormeilles en Vexin avec Mme P. Cartier pour la reconstruction de la grange incendiée.

Mardi 14 Mars

Mort de Paul Boulan décédé à Valenciennes à l'âge de 44 ans.

Mercredi 15 Mars

Mon frère Henri vient passer la journée à Paris et déjeune avec nous. Société Centrale Conseil. Incident voir copie de lettre.

Jeudi 16 Mars

Eté avec Sophie 11h St Sulpice service de Bout de l'An de M. et Mme Lalanne. Société Centrale suite de l'incident de la veille. Comme Président du Conseil du journal je convoque d'urgence le comité. Démission donnée puis retirée sur explication très satisfaisante.

Vendredi 17 Mars

Mort subite de Jules Ferry à l'âge de 60 ans. J. Ferry avait été élu Président du Sénat il y a environ 15 jours seulement.

Mardi 21 Mars

Décoration grandiose dans la cour du Sénat en vue des obsèques de Jules Ferry. Dans le Palais Chambre Ardente où le corps est exposé. Défilé du public toute la journée. Sophie, les enfants et moi nous y rendons.

Mercredi 22 Mars

Funérailles de Jules Ferry. Eté avec Sophie et les enfants voir passer le cortège.

Vendredi 31 Mars

Matin partie générale au manège Louise, Charles, Henri, Paul et moi, Henriette et Jean Malassez. Sophie vient nous rejoindre avec André et les petits frères. Après la leçon nous faisons faire un tour de manège à André, Emile et Georges; les petits frères sont enchantés et tout fiers de passer cavaliers.

Samedi 1er Avril

Promenade avec les Malassez dans les bois de Chaville. Malassez souffrant d'un mal de gorge ne vient pas. Départ à 1h retour vers 7h. Mme Malassez, Henriette et Jean, Sophie et moi avec Charles, Louise, Henri, Paul et André. Temps splendide et très chaud. Descendu à la gare de Chaville nous allons nous asseoir près de l'étang d'Ursine et remontons par un très grand détour et en passant par le château de Meudon, promenade et repos sur la terrasse; été prendre le chemin de fer à Bellevue.

Lundi 3 Avril

Promenade à Versailles avec mon Père, Sophie et les enfants Charles, Louise, Henri, Paul et André, Mme Malassez, Henriette et Jean. Partis par le train de 1h. Visite du Château, du parc et du petit Trianon. Rentrés à Paris vers 7h. Père vient dîner avec nous.

Mardi 4 Avril

Midi à St Sulpice, enterrement de Mme Alpy.

Mercredi 5 Avril

Eté avec Sophie et tous les enfants déjeuner et passer la journée dans les bois de Chaville. Partis par le train de 9h nous allons nous asseoir près de l'étang d'Ursine où nous déjeunons. Je fais une aquarelle. Retour à Paris vers 6h. Temps magnifique les bois commencent à verdir, il y fait délicieux presque trop chaud.

Samedi 8 Avril

Promenade à cheval dans les bois de Verrières. Etienne, Charles, Louise, Henri, Paul et moi à cheval, Sophie avec André, Emile et Georges dans une petite voiture qu'elle conduit elle-même. Partis de Paris gare de Sceaux train de 8h45 du matin, descendons à Sceaux, allons à Robinson, montons à cheval de 10h à midi. Temps splendide, promenade délicieuse, assombrie un instant par un accident qui aurait pu être grave mais qui n'a eu aucune suite fâcheuse. Emile glisse de la voiture, la voiture allait au pas. Sophie descend aussitôt en poussant des cris mais ne peut empêcher qu'une roue de la voiture ne passe sur les jambes d'Emile. La voiture très légère ne lui fait aucun mal. Emile pleure mais de peur seulement. Remis sur ses pieds il marche et remonte de lui-même à sa place. Nous remontons à cheval et la promenade s'achève sans autre incident. Les enfants sont ravis de leur cavalcade. Déjeuner dans le jardin de Mme Dupont. Nous avions emporté des provisions: poulet froid, pâté, dessert et café. Nous trouvons en plus oeufs frais, radis, salade, fromage. Rentrés à Paris par le train de 4h1/2.

Je ne me rappelle pas avoir jamais vu commencement de printemps aussi beau; la végétation est très avancée, les champs et les bois sont de toute beauté, les arbres fruitiers partout en fleurs. C'est féerique.

Dimanche 9 Avril

Emile à qui je demande si la roue de la voiture lui a fait du mal me répond: ça m'a chatouillé et rit de son petit air malin. Le temps est toujours sans nuages. Il fait même trop chaud. Les vacances de Pâques auront été à souhait pour les collégiens. Depuis le commencement de la Semaine Sainte il n'y a pas eu un nuage. Quel malheur de n'en avoir pas profité pour aller passer une quinzaine de jours aux Petites Dalles.

Jeudi 20 Avril

Première Communion au Lycée Montaigne: Paul renouvelle sa première Communion. J'assiste à la cérémonie avec Sophie, Louise; mon père souffrant ne peut pas venir.

Samedi 22 Avril

6h50 du soir départ pour Rouen.

Dimanche 23 Avril

Journée passée à Rouen avec Louise chez Henri et Laure. Nous allons en barque déjeuner sur l'herbe dans une île du côté de Dieppedalle. Louise prend un vif plaisir à ramer. Ma gentille petite fille paraît très heureuse de notre petite excursion. Le temps est splendide. Le soir dîner chez Mme Cronier.

Lundi 24 Avril

Matin 8h50 je quitte Rouen avec Louise pour rentrer à Paris.

Vendredi 28 Avril

Départ de Paris 11h30 arrivée à Boisseaux à 2h30. Visite de la ferme de Mme Berthelin. Travaux à décider. Départ pour Blois à 5h, arrivée vers 8h.

Samedi 29 Avril

Matin visite de la cathédrale, visite à l'Evèque, Déjeuner avec Beau à l'Hôtel. Départ de Blois pour Paris à 3h.

Lundi 1er Mai

Charles un peu souffrant depuis la veille garde le lit: fort mal de gorge, fièvre, mal de tête et étourdissements. Le médecin ordonne un vomitif.

Mardi 2 Mai

Charles prend son vomitif.

Mercredi 3 Mai

Charles va un peu mieux, il mange un peu et se lève un instant dans la journée.

Jeudi 4 Mai

Charles se lève mais est encore très faible.

Vendredi 5 Mai

Charles va mieux. Henri mon frère vient passer la journée à Paris. Il déjeune avec nous. Le soir je vais avec lui dîner à Passy chez Jeanne.

Samedi 6 Mai

Charles va mieux et retourne en classe.

Dimanche 7 Mai

M. et Mme de la Gillardaie, mon Père, Adèle et ses enfants, Anna et André et Ch. Rivière viennent dîner à la maison.

Mercredi 10 Mai

Midi Notre-Dame de Lorette, enterrement de M. Boucher St Agnan architecte décédé à Paris, 34 rue de Chateaudun, à l'âge de 83 ans.

A la sortie de l'église sous le péristyle, apercevant dans un groupe M. Duvert, mon confrère, je m'avance vers lui, le salue et lui tends la main. M. Duvert met les mains derrière son dos et répond d'un ton sec et méprisant "Salut Monsieur". Suffoqué de cet accueil, je rejoins Lalanne, L. Etienne Roussi et G. Hénard qui se trouvaient près de là et leur fais part de cette singulière et grossière attitude. Un instant après M. Duvert passe près de nous. Je me dirige vers lui:

-Est-ce à mon intention, Monsieur, que vous avez retiré votre main lorsque je venais vous saluer?

-Parfaitement

-Puis-je en connaître la raison?

-La campagne mensongère dirigée contre moi depuis l'affaire de l'Opéra-Comique...

-Est-ce pour moi que vous parlez?

-Oui...

-Alors Monsieur, quand je vous rencontrerai, j e n'aurai plus qu'à vous tourner le dos (J'en fais le geste). M. Duvert reprend sa phrase et insiste. Lalanne et L. Etienne s'interposent entre nous. Me dirigeant vers M. Duvert et le regardant bien en face:

-Monsieur votre conduite est d'un goujat. M. Duvert se retire. Lalanne et L. Etienne paraissent désolés de voir la tournure qu'a prise cette affaire, mais ils reconnaissent que M. Duvert a fait acte de grossièreté en me refusant la main que je lui tendais. L. Etienne qui le connaît particulièrement plaide les circonstances atténuantes vu l'état de surexcitation extrême de Duvert depuis le rejet de la combinaison Duvert Charpentier, Guillotin etc... pour la reconstruction de l'Opéra-Comique. Cela n'est pas une raison pour être insolent envers un confrère qui n'a jamais eu que de bons rapports avec lui. M. Duvert a mérité la leçon un peu verte que je lui ai donnée. Je suis à sa disposition pour toute explication complémentaire si je ne me suis pas assez expliqué.

Le soir banquet de l'atelier Questel Pascal chez Lemardelay; après le banquet concert.

Samedi 13 Mai

Dîner de l'union Valenciennoise chez Philippe au Palais Royal. Fête organisée en l'honneur des 80 ans de mon Père qui est le président d'Honneur de l'Union. De nombreux adhérents avaient répondu à l'appel du Comité. 80 couverts environ. Henri et Etienne assistent. Au dessert, Fagel, statuaire Président de l'Union, lit une dépêche du maire de Valenciennes s'associant aux sentiments de tous, puis lit un discours fréquemment applaudi. Mon Père répond, on lui fait une véritable ovation, les délégués lui apportent un énorme bouquet de roses entouré d'un large ruban de soie blanche avec l'inscription: la Jeunesse valenciennoise à H. Wallon, membre de l'Institut, Sénateur. M. X parle à son tour, sa parole est pleine de coeur, d'affection et d'admiration pour mon Père. Il n'oublie pas non plus le cousin H. Caffiaux, son ancien professeur. M.Maxime Leconte, sénateur de Nord, prononce aussi quelques mots de respectueuse admiration pour le caractère de mon Père.

Après le dîner soirée musicale: choeur des jeunes, Delsart violoncelliste Professeur au Conservatoire, X? flûtiste et mademoiselle Yvel actrice de l'Opéra-Comique. En somme fête très animée, très cordiale, très touchante.

Mercredi 24 Mai

Promenade à cheval avec Charles, Henri et Paul et mon frère Etienne. Louise fort enrhumée ne nous accompagne pas. Le cheval que montait Charles ayant fait un peu de bêtises Charles est jeté à terre sur la route. Charles fait la culbute mais sans se faire grand mal, le cheval se sauve en ruant. Henri et Paul le rattrapent pendant qu'avec Etienne j'aide Charles à se relever. Le cheval était mal sanglé. En ruant il s'était débarrassé de sa selle. De la selle je retire même un clou qui faisait sailli et avait peut-être irrité l'animaI. Je change de cheval avec Charles et la promenade s'achève sans incident. Nous allons vers les bois de Meudon et l'Hermitage de Villebon. Sous bois nous rencontrons M. Eiffel et l'un de ses fils Edouard. Nous rentrons à midi déjeuner chez Etienne à Sceaux.

Mardi 30 Mai

Henri mon frère, de passage à Paris, je vais avec lui dîner chez Adèle.

Mercredi 31 Mai

Eté avec Sophie à St Augustin mariage de Mademoiselle Marie-Louise Bureaux pupille des Lalanne avec M. René Masse ingénieur. Louise avait été demandée comme demoiselle d'Honneur. Sophie a préféré remercier.

Dimanche 11 Juin

Emile et Georges mettent leur première culotte! Leur petite figure rayonne de bonheur et de fierté. Campés sur leurs hanches les deux mains dans les poches, des poches! ils vous regardent d'un air! Maman et Papa sont moins gais. Il leur semble que cette première culotte, l'abandon de la petite robe est le commencement de la vie de petit garçon, un adieu à cette gentillesse du premier âge... Pour dire toute la vérité ils les trouvent tout de même tout à fait gentils et bien tournés... En promenade on sort déjà deux mouchoirs de ces fameuses poches! Comme but de promenade nous allons rue de Lille voir l'appartement que les petits frères ne connaissent pas encore et qu'ils désirent voir, puis au Luxembourg où ils se montrent dans toute leur gloire à leurs petits cousins et cousines et connaissance.

Le soir viennent dîner à la maison: mon Père, Adèle et ses enfants, Anna et André, Valentine pour quelques jours à Paris avec Madeleine, Henri Deltombe, Geneviève.

Mardi 13 Juin

Mort de Mr Maignan décédé à St Brîeuc dans sa 62ème année.

Notre déménagement de la rue Gay-Lussac à la rue de Lille

Samedi 1er Juillet

Les Ecoles et M. le Sénateur Bérenger. A propos de la condamnation de M.Guillaume organisateur du bal des Quat'z Arts, manifestation sur la Place de la Sorbonne. Intervention de la police. Bagarre devant la terrasse du café d'Harcourt. Un porte-allumette lancé par un agent des brigades centrales atteint derrière l'oreille un jeune homme de 22 ans, Antoine Nuger. Ce jeune homme transporté à l'Hôpital de la Charité meurt sans avoir repris connaissance. L'intervention des brigades centrales composées d'hommes spéciaux, à poigne, et qui ne doivent être employés que dans les cas extrêmes, pour de véritables émeutes, a été des plus malheureuses. Il s'agissait d'un simple chahut d'étudiants qui n'aurait pas eu de suites et qu'on aurait dû laisser se terminer de lui-même ce qui était déjà presque fait lorsqu'un officier de paix maladroit eut la triste idée de lancer sur ces jeunes gens qui s'amusaient un peu bruyamment ses terribles brigades.

Dimanche 2 Juillet

A la nouvelle de la mort d'Antoine Nuger l'émotion la plus grande se répand dans Paris.

Lundi 3 Juillet

Du quartier Latin l'agitation gagne les hauteurs de Belleville et tous les milieux où se rencontrent les propagateurs d'émeute. Tout le monde perd un peu la tête, la presse est en général hostile et pousse à l'émeute.

Sans doute la mort de ce malheureux Nuger est déplorable mais c'est un accident. Les agents assaillis par des bocks ont répondu par des porte-allumettes. C'est le résultat d'une bagarre violente mais non la préméditation d'assassinat comme on voudrait le faire croire. Des naïfs et des emballés ne voient pas qu'ils font le jeu de l'anarchie. La manifestation a depuis la veille complètement changé de caractère. Des étudiants elle est passée aux émeutiers de race dont on aperçoit dans tous les groupes les faces patibulaires.

Dans la soirée, assaut de la Préfecture de Police, désordres très graves (M.Lozé préfet de Police, Ch.Dupuy Président du Conseil Ministre de l'Intérieur).

Mardi 4 Juillet

L'émeute prend de plus en plus un caractère.... L'Hôpital de la Charité où est déposé le corps de Nuger est le centre des rassemblements. Charge de cavalerie et des agents pour dégager les abords de l'hôpital. Dans tout le quartier St Michel, boulevard St-Germain, etc. Les bandes d'émeutiers se répandent, mettant au pillage les boutiques d'armurerie, renversant et incendiant les kiosques, etc.

Vers 5h je vais à la Société Centrale boulevard St-Germain, 168. Lorsque j'en sors vers 6h, le concierge avait fermé la porte. Le boulevard en une heure a changé compIétement d'aspect. Il est désert, des barricades formées de tramways, de kiosques renversés, etc barrent la route à hauteur de la rue de Buci. La place St-Germain-des-Prés forme un vaste camp retranché: barricades en amont et en aval du boulevard St-Germain, rue Bonaparte, rue de Rennes, rue St Benoit. On ne voit que des brutes cassant renversant tout ce qu'ils trouvent. Les devantures des magasins sont baissées, les carreaux de tous les kiosques et réverbères brisés, c'est lamentable. Au moment où je sors de la Société, un individu me dit:

-Vous ne pourrez pas passer.

-C'est ce que nous allons voir.

Et de fait cet ensemble est sinistre, ce qui le rend d'autant plus sinistre c'est l'orage qui s'est mis de la partie. On est enlevé par le vent, des tourbillons de poussière, et de gros nuages tout prêts à crever obscurcissent le boulevard. Eclairs et terribles coups de tonnerre et bientôt pluie torrentielle, on pourrait dire providentielle. C'est une douche pour les gens qui attendent massés autour de l'hôpital la sortie du corps de Nuger dont ils veulent s'emparer pour leur émeute.

Je rentre chez moi, 1 rue de Lille, avec assez de difficultés. Je suis obligé d'aller par la rue du Bac et la rue de Lille. La rue des St Pères étant occupée par les troupes.

Dans la nuit toutes les précautions de secret étant bien prises le corps de Nuger est enlevé de l'Hôpital de la Charité et conduit avec une escorte de 200 cavaliers vers la station de Villeneuve-St-Georges. Les cavaliers accompagnent jusqu'à Charenton. M. Nuger Père emmène le corps de son fils à Clermont-Ferrand.

M. Ch. Dupuy, Président du Conseil, prend des mesures énergiques pour en finir avec l'émeute. Il fait venir des troupes de différents côtés pour renforcer la garnison de Paris. Fermeture de la Bourse du travail, interpellations, etc. (voir les journaux de l'époque pour les détails de ces tristes journées).

Mercredi 12 Juillet

Charles reçu bachelier, deuxième partie, Lettres-Mathématiques.

Mardi 3 Octobre

Rentrée des classes. Henri entre en Seconde A, Paul en 4ème A, André en 7ème A.

Mercredi 4 Octobre

Présentation de Charles à l'atelier Pascal. Visite à Pascal à ?h1/2 chez lui, puis l'atelier vers 5h.

Vendredi 13 Octobre

Arrivée à Toulon de l'escadre russe commandée par l'Amiral Avellan qui vient rendre à la France la visite faite à Cronstadt en 1891 par l'Amiral Gervais. La ville de Toulon fait aux officiers et marins russes un accueil enthousiaste et organise des fêtes splendides. Paris de son côté se prépare avec entrain à fêter ses hôtes.

Mardi 17 Octobre

Arrivée à Paris des officiers de l'escadre russe. Réception grandiose. Véritable marche triomphale de la Gare de Lyon au Cercle Militaire où ils doivent descendre. J'assiste avenue de I'Opéra à leur arrivée, le spectacle est saisissant. Je n'ai jamais vu enthousiasme pareil, foule aussi bruyante, aussi passionnée, d'aussi belle humeur. Les rues sont magnifiquement pavoisées, les fenêtres et les balcons, les combles des cheminées sont de véritables masses humaines, les cris, les hourras, les mouchoirs qui s'agitent, les fleurs qui pleuvent sur nos hôtes... tout cela est inénarrable, non plus que les formidables poussées de la foule qui occupe la place de l'Opéra, le boulevard et les carrefours de l'avenue de l'Opéra, la rue de ta Paix, la rue du 4 Septembre. Et un gai rayon de soleil Illumine cette fête! Après midi je conduis Louise assister au défilé du cortège se rendant à l'Elysée pour la visite au Président de la République (voir les journaux pour se faire une idée du chaleureux accueil fait à nos alliés les Russes). Le soir dîner et bal à l'Elysée. J'assiste au bal.

Ce premier jour de fête est malheureusement attristé par la nouvelle de la mort du Maréchal de Mac Mahon. On annonce aussi que le grand compositeur Ch. Gounod est à toute extrémité, frappé d'une attaque d'apoplexie.

Mercredi 18 Octobre

Mort de Ch. Gounod.

Suite du programme des fêtes russes: Grand déjeuner à l'ambassade de Russie et réception, Dîner au ministère de la marine et bal.

Jeudi 19 Octobre

Dans la matinée vers 11h1/2 je vais avec Sophie et les enfants rue de la Paix assister au départ des marins russes pour le déjeuner des Affaires Etrangères. Je me trouvais au premier rang portant dans mes bras Emile et Georges. Un des officiers de la deuxième voiture se penche vers Georges, lui serre la main et lui donne une branche de fleurs. Les petits frères avec leur gentil minois paraissent faire une certaine impression car presque tous les officiers des autres voitures leur font des caresses ou leur envoient des baisers. Eux qui depuis plusieurs jours ne parlaient que des Russes, les appelant des "crès doux" hommes et me chargeant de les embrasser quand je les rencontrerai, restent un peu interdits mais se laissent faire. Les acclamations, les vivats de la foule, le cortège des voitures les avaient un peu saisis.

Le soir grand banquet à l'Hôtel de Ville, retraite aux flambeaux, concert dans la salle des fêtes. Mon Père assiste au dîner. Je vais le soir au concert avec un billet que m'avait envoyé mon ami Santon. Sohie et les enfants (moins les petits frères) m'accompagne jusqu'à la place du Châtelet pour voir les illuminations et la retraite aux flambeaux.

Vendredi 20 Octobre

Matin je vais sur la place de l'Hôtel de Ville pour photographier le motif des bateaux de Carpezat et des mâts.

Promenade dans Paris des officiers russes sous la direction de la municipalité. Vers 7h du soir le cortège passe rue des Saints-Pères sous nos fenêtres. Notre balcon déjà pavoisé depuis dimanche des trois drapeaux russes: royal, national et marin alternant chacun avec un drapeau tricolore est illuminé de lanternes vénitiennes. Lorsque le cortège est en vue en haut de la rue des Saints-Pères j'allume des feux de Bengale qui illuminent le balcon pendant tout le défilé. Le soir Charles va avec son oncle Etienne au bal de l'Hôtel de Ville. Je lui avais donné la carte d'invitation que Santon m'avait envoyée. Je lui prête mon habit et mon chapeau claque, le tout lui va heureusement très bien. Il rentre enchanté de sa soirée à 2h1/2 du matin.

Samedi 21 Octobre

Sur la demande de l'ambassadeur de Russie M. de Morenheim, au nom de son gouvernement, le gouvernement décide que les funérailles du Maréchal de Mac Mahon qui devaient être ajournées après les fêtes auront lieu Dimanche. Les fêtes sont donc interrompues et le programme modifié, quelques parties même sont supprimées. La soirée de gala à l'Opéra qui devait avoir lieu aujourd'hui est reportée au mardi soir, le Carrousel du Champ de Mars, la fête nautique et les illuminations du Dimanche reportés au Lundi. La visite de Versailles du Lundi est supprimée. Aujourd'hui Samedi: Déjeuner à la Présidence du Conseil, répétition du Carrousel.

Dimanche 22 Octobre

Funérailles du Maréchal de Mac Mahon aux Invalides. Le cortège part de la Madeleine, suit la rue Royale, la Place de la Concorde, monte les Champs-Elysées, tourne au rond-point, prend l'avenue d'Antin, etc... J'envoie Charles, Henri et Paul avec leurs cousins Henri et André Deltombe 8 Place de la Concorde dans la maison de Mme Cartier, avec un mot pour le concierge lui demandant de leur faciliter l'accès du toit de la maison. De là-haut ils assistent à tout le défilé, le coup d'oeil, disent-ils, était splendide. Je conduis Sophie, Louise et André aux Champs-Elysées et nous nous installons tant bien que mal près d'une des pelouses du rond-point. Le temps est magnifique, l'affluence partout considérable. Tout Paris semble s'être posté sur le parcours du cortège. Les troupes très belles, toute l'armée de Paris forme cortège. Derrière le char brillante et nombreuse représentation des puissances étrangères, foule compacte de nos officiers supérieurs, tous les corps constitués suivent également en costume. Les marins russes se joignent au cortège. D'après certaines versions le Gouvernement ayant appris que le gouvernement italien avait l'intention d'envoyer 30 officiers à la cérémonie, et craignant que la foule ne leur fasse un mauvais accueil, pouvant amener des complications européennes, prit le parti de faire immédiatement les funérailles sans laisser le temps à la députation italienne d'arriver.

Lundi 23 Octobre

Après midi carrousel militaire dans la galerie des Machines. Sophie et Louise y assistent dans une des tribunes réservées, Charles et moi au premier étage dans le pourtour. Cérémonie des plus brillantes. Le Président de la République préside. A la fin du carrousel, à la sortie, grande démonstration de sympathie aux officiers de l'escadre russe. Louise partageant l'enthousiasme général et voyant passer près d'elle entre la double haie de cuirassiers les officiers russes demande à sa maman si elle peut leur serrer la main. Elle s'attire d'un des officiers cette gracieuse réponse: "Vive la belle France! vivent les jolies Françaises!"

Le soir grand banquet de ? convives dans la galerie de 30 mètres. Mon Père avait souscrit pour lui et pour moi, mais lorsque dans la matinée j'envoie Henri retirer nos billets on ne lui en donne qu'un pour son bon-papa. Il y avait eu paraît-il plus de 20.000 demandes.

Feu d'artifice au Trocadéro. Illuminations publiques de Paris, affluence considérable. Le temps reste toujours très beau.

Mardi 24 Octobre

Henri, mon frère, et H. Rousseau viennent à Paris pour causer avec moi des affaires d'Henri. Ils déjeunent à la maison. Le soir en reconduisant Henri à la gare Saint-Lazare nous rencontrons sur le boulevard les officiers russes se rendant en landau découvert à la soirée de gala de l'Opéra. Foule considérable, les environs de l'Opéra sont gardés à une grande distance par les gardiens de la paix et la garde de Paris à pied et à cheval. Chaleureuse ovation de la foule, brillantes illuminations, temps splendide. Après la soirée de gala les officiers russes doivent quitter Paris par le train de 1h40 du matin se rendant à Lyon.

Mercredi 25 Octobre

Dîner chez Marguerite avec Sophie et Charles. Louise souffrante ne peut nous accompagner.

Jeudi 26 Octobre

Matin 9h50, gare Saint-Lazare pour Chatou enterrement de M. Emile Lussigny, décédé le 23 dans sa 70ème année.

Vendredi 27 Octobre

Enterrement de Gounod. Obsèques nationales à la Madeleine.

Dimanche 26 Octobre

19ème anniversaire de notre mariage. Mon Père, Adèle et ses enfants, Anna, Joseph et Jean, Geneviève et son mari et Henri Deltombe viennent dîner avec nous.

Lundi 30 Octobre

Voyage à Blois, départ Paris 9h15, retour minuit.

Samedi 4 Novembre

Soirée chez Mme Delaborde. Dans la journée Sophie et Louise assistent à la séance de l'Académie des Beaux Arts et prennent grand plaisir à l'audition des cantates des prix de Rome. A la soirée de Mme Delaborde où j'assiste avec mon Père j'entends Massenet accompagnant un acteur de l'Opéra-Comique chantant des oeuvres du Maître, puis Saint-Saëns et Gabriel Pierné ainsi que Bloch, le Prix de Rome, le lauréat du jour.

Dimanche 5 Novembre

Le soir je dîne avec Sophie et Louise chez mon Père avec Pierre, Jeanne et leurs enfants, Henri, Pierre, Joseph, Adèle et Jeanne et Edmond Rudeau et son fils.

Mercredi 8 Novembre

Arthur et Antoinette Lambert et leurs filles viennent dîner à la maison avec mon Père.

Jeudi 9 Novembre

Journée passée à Villarceaux, parti à 6h du matin rentré à minuit1/2.

Mercredi 15 Novembre

Henri mon frère, pour 48h à Paris, vient dîner avec mon Père à la maison.

Dimanche 19 Novembre

Très violente tempête dans la nuit de Samedi à Dimanche sur la Manche et sur l'Océan. Nombreux sinistres.

Vendredi 1er Décembre

Eté avec Sophie Louise, Charles et Henri au Théâtre Français voir jouer Antigone, tragédie de Sophocle mise à la scène par P. Meurier et Vacquerie. Mounet Sully superbe dans le rôle de Créon. A l'un des entractes je vais avec Charles et Henri saluer Mounet Sully dans les coulisses au foyer des artistes.

Samedi 2 Décembre

Après midi chez moi, réunion des exécutants pour la fête de l'E.D.B.A. du 11 à l'Hôtel Continental. Nous retenons à dîner Deslignères et Courcoux.

Lundi 4 Décembre

Eté avec Boileau, Corroyer et Raulin à Suresnes, délégués par la Société Centrale pour juger le concours d'Ecole Maternelle et de Salle des fêtes. Arrivée à Suresnes vers 9h1/2. Les autres membres du jury étaient le Maire, M. Caron, deux membres du conseil municipal, le médecin des écoles et l'inspecteur primaire. Le médecin des écoles étant absent soit 8 votants. Nous décernons à l'unanimité des 8 votants le premier prix à MM. Bauhin et Godefroy, le deuxième prix par 6 voix à M. Dauverges, le troisième prix par 8 voix à M. X et 3 mentions aux projets 14,11 et 10. A midi le maire nous emmène déjeuner dans un restaurant sur le quai. Nous rentrons à Paris par le bateau.

Vendredi 8 Décembre

Dîner de la Charrette étaient présents: Flachiron, Motte, Gillet, Glaize, Bariller, Deslignères, Pray et moi.

Samedi 9 Décembre

Explosion d'une bombe à la Chambre des Députés. Cette bombe lancée d'une tribune du deuxième étage éclate en l'air et blesse plus ou moins grièvement une cinquantaine de personnes: public ou députés. Les questeurs donnent immédiatement l'ordre de bloquer toutes les issues du Palais Bourbon mais peut-être le ou les criminels ont-ils eu le temps de s'échapper. Les personnes présentes dans l'enceinte du Palais, les députés comme le public, sont gardées prisonnières jusqu'à l'arrivée du commissaire de police qui les interroge tous individuellement.

En revenant du Sénat mon Père fait un faux-pas sur le trottoir qui est très glissant et tombe tout de son long dans le ruisseau dans la rue de Seine près le passage du Pont Neuf. On l'aide à se relever et il regagne assez facilement l'Institut mais complètement trempé. Averti par la domestique je vais le voir. Il a une écorchure à la jambe en dessous du genou je le passe à l'eau boriquée. Ce ne sera rien je l'espère. En tous cas dans la crainte que les journaux n'annoncent un accident j'écris immédiatement à tous mes frères et soeurs pour les mettre au courant et leur dire que Père n'assistait pas à la séance de la Chambre. Je dîne chez les Malassez avec Sophie, Charles, Louise, Henri, Paul et André. Père invité ne peut s'y rendre.

Dimanche 10 Décembre

Matin je vais prendre des nouvelles de mon Père. Il va bien.

Je vais avec Charles à l'Hôtel Continental à la répétition générale de la fête de demain.

Lundi 11 Décembre

Banquet de l'Ecole des Beaux-Arts à l'Hôtel Continental. La soirée littéraire et musicale réussit à la satisfaction générale.

Vendredi 22 Décembre

Naissance du petit Jean Rivière.

Lundi 25 Décembre

Au réveil joie des petits frères de voir devant le foyer de la cheminée et autour de leurs petits souliers une profusion de petits jouets, de gâteaux et de bombons. Les grands ne sont pas non plus oubliés. Charles a un mètre et un double décimètre, Louise, la plus favorisée, une boîte de mouchoirs brodés, Henri un couteau canif, Paul un livre de science amusante, André un petit jeu à billes. Après midi à 6h1/2 chez Geneviève pour le baptême, à St Jacques, de son fils Jean. Je suis le parrain et Marguerite la marraine.