1879

 

 

Dimanche 5 Janvier - Elections sénatoriales de la première série renouvelable. Grande victoire des Républicains.

Lundi 20 Janvier. - Interpellation Sénard à la Chambre des Députés sur la déclaration relative à l'épuration du personnel judiciaire et administratif.

Jeudi 30 Janvier - Démission du Maréchal de Mac Mahon. Election de Jules Grévy.

Vendredi 3I Janvier - Election de Gambetta à la présidence de la Chambre des Députés.

12 Février - Nomination comme architecte diocésain de St. Brieuc.

Mercredi 5 mars - Mercredi 12 Mars. Voyage à St. Brieuc.

Jeudi 21 Avril - Jeudi 1 et Mai- Voyage à St. Brieuc.

Dimanche 1er Juin - Mort du fils de Napoléon III

Lundi Il Juin - Annulation de l'élection de Blanqui.

Mercredi 10 Juin - Blanqui est gracié et quitte la prison de Clairvaux.

Dimanche 15 Juin - Naissance d' Henri.

Jeudi 19 Juin - Formation des deux Chambres en Assemblée nationale... Congrès pour la question du retour à Paris.

Vendredi 1er Août - Départ pour les bains de mer en Bretagne à St. Quay. Les Cattant y vont aussi. M. Allart va y passer quelques jours. Nombreuses aquarelles de St. Quav (Croix, fontaine), de Kertugal (moulin, fermes). Très mauvais temps (aquarelles "de la cabine"). Excursions, notamment avec M. Allart, à Dinan, Lamballe, Paimpol, St. Brieuc, St. Pol de Léon. Retour Jeudi 2 Octobre.

Samedi 4 Octobre - Déménagement (51 rue des Ecoles?)

Du 15 Novembre à fin décembre - Très grand froid.

 

Mardi 7 Janvier

En se réveillant, Charles, entendant le vent dans la cheminée: Papa, le tambour. - Non mon gros, c'est le vent. - Alors, les métaires (militaires) ont prêté le tambour au vent pour faire de la bédick (musique).

Dimanche 26 Janvier

Charles: Pourquoi i chante pas de petit adeau (le petit oiseau de ma bibliothèque). - R. Parce qu'il est mort. - Charles d'une petite voix douce et pensive: Il est mort?... Qui l'a mordu?... Une pute (puce) une vilaine pute.

Malgré des expressions un peu bizarres petite sÏur répète tous les mots qu'on lui dit et commence à faire des petites phrases. Elle s'approprie également tout le vocabulaire de son frère.

Charles - Maman veux-tu laisser la porte ouverte pour faire entrer le doux (la chaleur de mon cabinet où il y a du feu dans la chambre voisine où il n'y en a pas). Le doux il n'est pas encore venu ? (en parlant de la température toujours très rigoureuse).

Jeudi 27 Février

Réunion chez Hénard rue Beaujolais 9 au sujet de la réponse que les Architectes Diplômés doivent faire aux articles de Viollet-le-Duc (XIXème S. des 22 et 25 Février particulièrement). Je résiste aux sollicitations qui me sont faites pour autoriser une réponse et un démenti aux insinuations aux attaques personnelles de Viollet-le-Duc estimant qu'une question de principe ne doit pas dégénérer en question de personnes. Le XIXème Siècle est connu pour l'audace de ses calomnies. Ceux qui me connaissent en feront justice. - Voir Siècle 17 Déc 78, 2-3 Janv. 79. XIXème Siècle 9 Janv. 20-22-25 Fév. 79. Figaro 29 Janv.

Dimanche 2 Mars

Eté au concert du Châtelet. Symphonie pastorale (Beethoven) Sicilienne (Boccherini), Ballet d'Étienne Marcel (St. Saëns), Intermède d'Orphée (Gluck), Cléopâtre (Mancinelli), Ouverture d'Obéron (Weber).

Dimanche 9 Mars

St. Brieuc. Je ne suis généralement pas bien gai quand je suis loin de vous, ma chère femme et mes bons petits enfants. Vous me comprendrez plus tard, et seulement quand à votre tour vous aurez des enfants qui vous aimeront je l'espère beaucoup, mais que vous aimerez encore davantage quelque soient leur tendresse, leur dévouement pour vous. Ainsi va la vie ! Ce sentiment est tout humain et la nature a sagement fait en le développant ainsi dans nos cÏurs. La séparation toujours si cruelle pour ceux qui restent, que serait-elle donc si, chers enfants; vous aviez pour vos parents cette idolâtrie qui remplit toute mon âme, et qui, c'est du moins pour moi un perpétuel sujet de crainte et d'angoisse, et qui me causera peut-être bien des amertumes un jour non pas par votre faute, bons petits enfants, n'allez pas prendre cette plainte en mauvaise part, mais parce que peut-être ... je vous aime trop.

Hier soir, pensant à vous, à votre bonne petite mère, à mon éloignement, à mon isolement, de tristes pensées m'obsédaient, je me voyais malade, bien plus, mourant loin de vous dans une chambre d'hôtel, et je me disais: si pourtant ils étaient là, comme je leur parlerais ! comme je les caresserais !... Si la bonté et toutes les vertus que vous développerez un jour n'étaient pas entrées naturellement dans vos cÏurs, chers enfants, mes recommandations seraient vaines. Je ne veux donc pas vous sermonner, chers petits, je veux seulement causer avec vous, mon refuge dans ma tristesse; je suis loin, voilà mon excuse. L'esprit toujours plein de votre image, des moindres faits de votre vie, je cause mieux encore avec vous par la pensée en vous écrivant (ou plutôt en écrivant en pensant à vous). Je vois vos bonnes et gentilles figures. Je savoure ces baisers que vous me prodiguez avec une telle profusion, que je ne suis pas bien sûr, père dénaturé, de ne pas y avoir mis fin quelques fois en vous congédiant. Et alors, avides de caresses, chers petits anges, vous me baisiez le pan de mon habit, vous me baisiez les genoux sans vous laisser rebuter vos jolies têtes toujours levées vers votre petit père, jusqu'à ce qu'il vous ait regardés et récompensés comme vous le méritiez. Ah! ce surcroît de baisers, comme il me ferait du bien dans ma triste chambre d'hôtel! Chers enfants, quand je mourrai, soyez pour votre mère ce que je m'efforce d'être chaque jour, soyez dignes d'elle. Je ne vous dis pas aimez la, vous l'adorez. Mais confiez-vous entièrement à elle, vous aurez le meilleur, le plus dévoué des guides. Prenez-la toujours pour modèle; vous sachant entre ses mains, je mourrai sans inquiétude pour votre avenir. Elle vous dira que la bonté, le respect de soi même sont les vertus d'où découlent toutes les autres. Aimez-la pour l'absent, reportez sur elle toute l'affection que vous aurez eue pour moi, rappelez-lui par votre tendresse l'affection que j'avais pour elle et pour vous. - Et si un jour dans la vie, vous avez eu des moments de tristesse,d'incertitude ou de faiblesse ... pensez à Elle, pensez à votre père, pensez à notre amour pour vous, vous vous sentirez mieux et plus forts. C'est un conseil que mon excellent Père m'a toujours donné à toutes les heures difficiles de la vie. Plus tard, quand vous aurez des enfants, donnez-leur ce conseil...

Jeudi 13 Mars

Ordre du jour de flétrissure voté par la Chambre contre les membres des Cabinets des 17 Mai et 23 Nov. 1877.

La Chambre des Députés, avant de reprendre son ordre du jour, constate une fois de plus que les ministères du 17 Mai et du 23 Nov. ont par leur coupable entreprise contre la République, trahi le gouvernement qu'ils servaient, foulé aux pieds les lois et les libertés publiques, et n'ont reculé, après avoir conduit la France à la veille de la guerre civile, que devant l'indignation et les viriles résolutions du pays.

Mais convaincue que l'état de discrédit dans lequel ils sont aujourd'hui tombés permet à la République de ne point s'attarder à la poursuite d'ennemis désormais frappés d'impuissance. Considérant que pour réparer le mal qu'ils lui ont fait, la France a besoin de calme et d'apaisement et que l'heure est venue pour le Parlement républicain de se consacrer exclusivement à l'élaboration des grandes lois économiques industrielles et financières que le pays réclame et dont il attend le développement de sa richesse et de sa prospérité, livre au jugement de la conscience nationale qui les a déjà solennellement réprouvés les desseins et les actes criminels des ministres du 17 Mai et du 23 Nov. Et invite le ministre de l'Intérieur à faire afficher la présente résolution dans toutes les communes de France. La proposition de mise en accusation formulée par la commission d'enquête a été rejetée hier par 317 voix contre 199. L'ordre du jour de flétrissure a été voté par 217 voix contre 135 (140 abstentions de l'extrême gauche).

Dimanche 16 Mars

Eté avec Sophie, Charles et Louise rue Montmartre voir la maison. Le 9ème et dernier plancher est posé, on commence à le hourder. Le maître compagnon Longi prend Charles dans ses bras et le porte par les échelles tout en haut de la maison. Charles met le pied sur le 9ème plancher (2ème étage de comble) avant son petit père qui n'était pas encore monté si haut.

Mardi 18 Mars

Photographie des enfants chez Chambay (Grd Hôtel).

Dimanche 30 Mars

Enterrement de Mme Corne née Godart de Saponay décédée le 27 Mars à l'âge de 81 ans - Eglise St. Germain des Prés.

Mercredi 2 Avril

Enterrement du cousin Dugentis (mari de Sophie Caffiaux) capitaine de cavalerie en retraite décédé le 30 Mars à l'âge de 51 ans.

Dimanche 6 Avril

Je vais avec Sophie au concert du Châtelet entendre la Damnation de Faust de Berlioz. Le soir, dîner à l'Institut avec Mme Cronier, M. et Mme de la Gillardaie.

Lundi 14 Avril

Eté avec Sophie, les enfants et leur bonne Marie à la foire aux pains d'épice place du Trône. - Aller en voiture, retour en voiture sans difficulté.

Vendredi 18 Avril

On recommence la photographie de Louloule.

Lundi 28 Avril

Morlaix... A 2h départ (de St. Brieuc.) pour Morlaix, arrivée à 5h. Je trouve à la gare le Général Le Flô et sa calèche attelée de 2 beaux chevaux noirs russes. Accueil très sympathique de M. et Mme Le Flô. Conversation des plus intéressantes pendant le dîner et la soirée. Mme Le Flô est malheureusement affligée d'une très grande surdité, elle n'entend que dans un cornet.

Le jugement du Général sur M. Grévy me semble un peu sévère. Il le qualifie d'homme nul. Le général a l'habitude de ne pas ménager la vigueur, la couleur de ses expressions. Il parle à cÏur ouvert et volontiers. Il est grand admirateur de Cavaignac (aventure plaisante de M. et Mme Cavaignac en Bretagne avec un jeune paysan breton, qui ne dissimulant pas ses sentiments intimes pour la générale). - Causerie sur la guerre 1870-1871 sur les desseins de l'Allemagne en 1895 - sur le prince de Galles, le plus libertin des hommes et le moins difficile sur le choix des femmes - etc ... etc...

Mardi 6 Mai

On coupe les cheveux de Charles et de Louise - la première fois pour Louise ce qui lui donne un petit air de garçon des plus drôles et des plus malicieux.

Samedi 24 Mai

Mariage de Frédéric Barbedienne avec Mlle Louise Poncelet. Père parti la veille pour Douai où il doit assister au mariage comme un des témoins de Frédéric doit revenir Mardi.

Marguerite et Geneviève sont entrées la veille au couvent de la Visitation pour une retraite de 8 jours.

Lundi 26 Mai

Louise - "Maman raconte hitar" (suit la désignation de l'histoire qu'elle désire). "Te plaît (s'il te plaît) dis, maman ... bien gentille". - ce veux-tu et ce bien gentille sont un charme. La voix câline, douce et harmonieuse de la chère fillette ne manque jamais son effet. Ce veux-tu et ce bien gentille sont employés en toutes circonstances lorsque la petite maligne veut obtenir ce qu'elle désire ou séduire son auditoire. Quant au veux-tu il suit toute demande quelqu'elle soit.

Charles - "bottiner les bottines" pour mettre les bottines, boutonner les bottines.

Mercredi 28 Mai

Ils ont quelques fois entre eux des expressions complètement inintelligibles pour nous et qu'ils paraissent comprendre. C'est ainsi que petite sÏur, souvent provocante et toujours prête à la riposte dit à son frère sans avoir l'air d'y toucher: Nia Tale (Tale pour Charles). Charles répond immédiatement: Nia Louloule. Nia Tale riposte énergiquement petite sÏur. Nia Louloule s'écrit furieux Charles. L'attaque et la riposte se succèdent alors avec une violence et une précipitation de plus en plus comiques. Louloule élève de plus en plus le ton mais reste généralement calme tandis que ce pauvre gros prend la chose à cÏur et entre dans un petit accès de colère avec larmes. Nous avons toutes les peines du monde à nous interposer. Que signifie pour eux ce "Nia"? Peut-être rien du tout. Petite sÏur l'ayant prononcé une fois en le faisant suivre du nom de son frère, celui-ci par esprit de contradiction l'a renvoyé à sa petite sÏur, de là la riposte... La petite malicieuse ayant vu que ce mot avait le don de mettre son frère en colère se permet de temps en temps sans raison aucune d'exciter ce pauvre gros qui ne manque jamais de tomber dans le panneau.

Dimanche I5 Juin

NAISSANCE DE HENRI PAUL HYACINTHE WALLON à 11h20 du soir.

Dès le matin, Sophie ressentant certains indices m'envoie chez M. le Docteur Bailly lequel arrive vers 11h1/2 du matin. Retenu près d'une dame qui réclame ses soins, il donne l'adresse de cette dame en priant de l'y envoyer chercher dès que cela nous paraîtra urgent. La journée se passe bien sans souffrir, Sophie termine tous ses rangements, tous ses préparatifs. M. Allart descend dîner avec nous. Sophie se trouvant plus souffrante envoie Henriette la domestique de M. Allart au couvent de la rue Cassini (assistance maternelle) chercher la sÏur. Immédiatement après dîner, M.Allart prend une voiture pour aller chercher M. Bailly. Sophie croit que les choses se précipiteront et qu'elle sera débarrassée avant 9h. La sÏur Anaïs arrive vers 8h, M. Bailly vers 9h. Les grandes souffrances commencent vers 11h Sophie s'étend sur sa couchette. A 11h un bon gros garçon fait son apparition. M. Bailly nous quitte vers minuit, et va retrouver sa dame qui accouche vers 3h du matin.

Dans la journée, les enfants étaient intrigués de voir leurs petits lits transportés dans la chambre du fond. Se rappelant que pareil déménagement s'était fait lors d'un voyage d'Henri et Laure à Paris (nous leur avions donné notre chambre) Charles explique à sa sÏur que tante Laure doit venir, et c'est à qui se couchera le plus tôt pour voir plus vite la tante Laure. Au matin au réveil, Charles me demande d'aller embrasser sa tante Laure. Il se trouve nez à nez avec la sÏur, ce qui l'étonne un peu, regarde son frère avec une certaine surprise et fait surtout grande fête aux jouets que le petit frère a apportés: un chemin de fer pour Charles, une cuisine pour petite sÏur Louloule; suivant son habitude, Charles s'emparant bientôt des deux; c'est à peine s'il tolère que sa petite sÏur participe à ses jeux. Petite sÏur parait plus étonnée que son frère; reconnaissant son berceau, lorsque je lui demande qui est dedans, elle répond: c'est Louloule.

Mercredi 25 Juin

BAPTEME DE PETIT HENRI à 4 h. St. Etienne du Mont. M. Corne parrain, Adèle marraine. Présents: M. Corne, Père, Marguerite et Geneviève, Laure et Henri, Adèle et tous ses enfants, sauf Marie à Amiens. Charles, Louise et moi. Il pleut; Adèle, Louise, petit Henri et la bonne vont en voiture. Charles avec son amour du rangement profite d'un moment où tout le monde est levé pour prendre toutes les chaises et les ranger à la file dans la chapelle.

A 6h dîner: M.Corne, M. Allart, Père, Marguerite, Geneviève, Henri, Laure, Adèle, Frédéric Barbedienne et sa femme, ma tante Jannet, total avec Charles 13 personnes. Charles fait preuve d'un appétit formidable, il boit du champagne à la santé de sa maman et de son petit frère avec un empressement qu'on est obligé de modérer. A la fin du dîner, il déclare "qu'il a encore faim, moi ! t'en supplie ma tante y a encore deux petites places pour mettre totôse (quelque chose) y a encore un petit trou...".

Samedi 5 Juillet

Départ de la Soeur Anaïs, Sophie reste toute la journée levée et dîne pour la première fois avec nous.

(...Pesée d'Henri au gramme près et progression journalière au centigramme près...).

Charles voyant partir la Soeur lui dit: vous emmenez petit frère? non? Se rappelant la coïncidence de l'arrivée de la Soeur et de petit Henri, il en déduit que l'une doit emmener l'autre.

Dimanche 13 Juillet

Revue de Longchamp. - A 3h je sors avec Charles pour voir le retour des troupes. Nous allons jusqu'aux Champs-Elysées. Boulevard St. Germain, nous rencontrons la Garde de Paris, pont de la Concorde les pompiers, les cuirassiers, cours la Reine l'artillerie, et nous suivons la musique du 117ème Régiment d'Infanterie le long du quai jusque vers le pavillon de Flore. La foule étant nombreuse, j'avais enlevé Charles dans mes bras et marchais près des musiciens portant mon cher fardeau.

La journée fut relativement belle. Ce fut une éclaircie dans cette déplorable saison. Jamais paraît-il sauf, en 1816 et en 1835, on n'avait eu une année aussi pluvieuse.

Samedi 19 Juillet

En revenant de la rue Montmartre (construction de la rue Feydeau) avec Charles nous entrons au musée du Louvre nous parcourons la Galerie Las Case, le salon carré de l'Ecole Française où se trouve le Radeau de la Méduse de Géricault, I'Enlèvement des Sabines de David, puis la Galerie d'Apollon; le salon carré, la grande galerie où se trouvent les Rubens, les Lesueur, les galeries de l'Ecole Française, et descendons par le grand escalier inachevé de M. Lefuel à la sculpture antique que nous parcourons.

Le Naufrage de la Méduse lui paraît un grand bateau sur lequel il y a beaucoup de monde, "la bateau est grand parce que la mer est grande". Les petits enfants du tableau de David l'intéressent, il remarque un cheval qui va les écraser, mais qu'on retient, et un grand monsieur celui qui a des "bittines", qui marche (le Romain du premier plan qui pose les jambes écartées, son bouclier au bras, son javelot à la main. Dans le même salon: une Louloule (sa petite sÏur Louloule) avec un monsieur qui lui tient la main: ce monsieur est son papa. Dans le tableau de la Bataille d'Austerlitz, il voit des éléphants (?). A l'Ecole Italienne, il s'arrête devant un tableau. La Vierge, l'enfant Jésus et deux personnages dont l'un tient une banderole sur laquelle est écrit: Ecce Agnus Dei . "Tiens papa, un monsieur qui va faire centimètre (mesurer) au petit garçon... "etc...

A la sculpture, avisant un lion qui a la patte posée sur une boule: "Papa, un lion qui va manger une boule" - nous nous approchons - "ah non, il ne peut pas la manger, elle est collée ... elle est bonne pourtant", ajoute-t-il. Les grandes coupes qui répètent I'écho de la salle le frappent d'admiration: il voudrait bien monter dedans, il serait bien content.

Jeudi 22 Juillet

Après dîner, Père sortant avec Marguerite et Geneviève aperçoit en passant sur le pont des Arts un enfant qui se noyait près du bain des chiens et le bateau des blanchisseuses. Il court aussitôt donnant son parapluie à Marguerite sans prendre garde qu'il sort de table. Heureusement, lorsqu'il arrive au bord, on repêchait le pauvre petit sain et sauf. Beaucoup de badauds assistaient les bras croisés à ce spectacle sans bouger, peut-être sans s'émouvoir. Certains même conviaient des chiens à aider le pauvre enfant à se tirer d'affaire ! Père faisait ensuite la réflexion que s'il avait su l'escalier si loin, il se serait jeté du haut du pont...

Mercredi 23 Juillet

Ascension en ballon captif Giffard cour des Tuileries avec Charles et petite Louise. J'y fais monter Adèle et ses 3 aînés, Marie, Henri et Aristide. Père, Marguerite et Geneviève se joignent à nous. Nous montons très haut, plus de 500 mètres. Pendant presque toute l'ascension, je tiens mes chers petits sur mes bras pour les faire jouir du panorama splendide. Père me remplace de temps en temps, tenant tantôt l'un tantôt l'autre. Jules Godard, l'aéronaute prend dans ses bras petite Louise pendant une partie de l'ascension. J'en profite pour mieux installer mon gros Charles dans mes bras. Il est 6 heures environ, le temps est légèrement brumeux, mais la vue sur Paris est cependant assez nette. Nous nous étions bien empressés de profiter de cette belle journée dans cet été si pluvieux et si maussade.

Dimanche 27 Juillet

Enterrement de mon ami Dillon. A 10h15 départ de Paris; à 11h le service à Pierrefitte, sur la demande de M. Graffeuil beau-père de Dillon. Je tiens un des cordons du poële, Raulin, Tissandier et Lalarine tiennent les autres. Après le service, nous accompagnons à pied le corps de notre pauvre ami à Paris, tenant jusqu'au cimetière Montmartre les cordons du poële.

Mardi 29 Juillet

Je me ressens pendant quelques jours du coup de soleil que j'ai attrapé sur la route de Pierrefitte à Paris. Nous étions tête découverte, la route était longue et le soleil brûlant.

Mercredi 30 Juillet

Charles prend la détestable habitude de rouler les R. Après les avoir complètement négligés comme dans Tales pour Charles, s'efforçant de les prononcer, il trouve charmant de dire mon glârrrçon pour mon garçon, embrrrasser pour embrasser; habitude qu'il n'a conservée que quelques jours.

Vendredi 1er Août

Départ pour les bains de mer en Bretagne (St. Quay). - A 8h du soir, départ de Paris. Voyage très fatigant; nous sommes sans domestique; les enfants sont on ne peut plus gentils ce n'est qu'à partir de Chartres que nous pouvons avoir un coin; nous y installons Charles. Pauvre petite Louise est accablée de fatigue, ne sait comment se tenir mais fait toujours bonne figure. Elle est charmante. Quant au gros Henri, il tète ou dort. A Vitré, deux nouveaux coins deviennent disponibles par le départ de deux ventrus de curés dont l'un ne peut plus en descendant retrouver un de ses souliers. Il aura dû être fort empêché pour continuer sa route. Mais à Rennes, une grande contrariété nous attendait. Nous venions enfin de nous élargir dans notre compartiment et nous apprêtions à bien terminer la nuit; on nous fait changer de voiture. Nous ne nous attendions pas à ce coup-là. Il nous faut prendre nos enfants et tous nos petits colis épars pour aller nous entasser dans un compartiment où nous n'avons aucun coin. Mais le jour suivant, les enfants sont d'une humeur charmante et nous gagnons sans encombre St. Brieuc. Nous trouvons M. Maignan à la gare, nous entrons au buffet nous restaurer puis prenons le courrier de Paimpol. Vers 9h nous arrivons à St. Quay. M. Maignan a l'obligeance de mettre sa domestique à notre disposition. Après déjeuner, visite à Mme Maignan au Portrieux. Au retour, bain. La mer est agitée, le bain excellent. Après mon bain, j'étais rhabillé, je vois une dame roulée par les vagues et faisant des signes de détresse, je n'ai que le temps de jeter ma redingote et je cours l'aider à sortir de l'eau. Je m'empresse de rentrer à la maison pour me changer.

Jeudi 7 Août

Matin, arrivée des colis petite vitesse. Pluie le matin - l'après-midi, aquarelle dans la cabine. Promenade avec les enfants et Sophie et la petite voiture jusqu'à Kertugal.

Jeudi 14 Août

Eté à Kertugal dans la matinée faire une aquarelle. Je ramène les deux petites filles de Mme Cattant arrivées de la veille. Après déjeuner, aquarelle de ma fenêtre. Visite de toute la famille de Trévennec pendant que j'étais sur la plage avec Charles.

Mardi 21 Octobre

Nous faisons apprendre à Charles la fable du renard et du corbeau. Après l'avoir dite une fois avec moi, je veux lui faire recommencer; mais le paresseux invoque une singulière et malicieuse raison que sa paresse seule peut lui suggérer: - Mais non, dit-il, je ne peux pas, le côbeau n'a plus de fômage puisque le renard l'a mandé.

Dimanche 26 Octobre

Albert Leviez vient dîner avec nous. Vers la fin du dîner, Charles commençait à s'endormir. On apporte le dessert; la vue d'un éclair au chocolat dans son assiette le réveille. Il l'ouvre en deux, exclamations de joie; Oh! la belle petite boite! Oh! de la crème au chocolat dedans! - Hein! lui dis-je, si tu avais été faire dodo ? - C'est le chocolat qui va aller faire dodo dans mon ventre.

Mardi 28 Octobre

Mariage du cousin Victor Devisme avec Mlle Le Cerf à l'église St. Eugène. A 4h arrivée d'Henri et de Laure à Paris, je vais au-devant d'eux avec Charles. Je dîne le soir avec Henri et Laure à l'Institut avec ma tante Janet et ma cousine Adèle Vanier....

Mercredi 29 Octobre

Je propose à Charles d'aller un jour avec moi faire visite à son oncle Henri et sa tante Laure à Rouen. - Oh oui ... avec maman avec Louloule réponds papa ?- Non tous deux seuls - alors je ne veux pas. Puis quelques instants plus tard toujours absorbé par cette pensée et d'un ton larmoyant: - Si quand nous revenons nous trouvons notre petite maman malade! inutile de dire si petite maman fut touchée et petit papa ne le fut pas moins.

Depuis environ 3 mois, nous essayons de lui faire apprendre à lire, mais notre gros paresseux n'est pas un élève commode. Il commence seulement à connaître ses voyelles. Nous nous escrimons aussi à lui faire lire une fable - Maître Corbeau - mais sa sÏur a plus de dispositions que lui, surtout pour la bonne prononciation des mots.

Vendredi 7 Novembre

Charles prend grand plaisir à se faire raconter des fables de La Fontaine. "...Mais comment don maman ces bêtes font pour parler ?... elles parlent donc ?"

Mardi 9 Décembre

13° de glace à 7h du matin j'emmène Charles promener jusqu'à la place du Châtelet, je lui montre la fontaine St. Michel, ses bêtes avec d'immenses cornets de glace; le petit bras de la Seine qui est pris, le grand bras qui charrie d'énormes glaçons, nous remontons ensuite jusqu'au Luxembourg que nous trouvons fermé et nous rentrons après une heure de bonne petite promenade; le temps est très beau, très sain. Charles paraît très content et chante selon son habitude tout le long de la route.

Mercredi 10 Décembre

16° de glace à 7h du matin. La Seine se prend dans la nuit du 9 au 10. L'après-midi, je mène Charles au pont des Arts.

A l'observatoire du Montsouris le matin le thermomètre marque 24° de glace. Le plus grand froid observé jusqu'à ce jour à Paris depuis l'invention du thermomètre se trouve dépassé. Il n'était que de 23°1/2 observé dans la nuit de 1795.

Samedi 13 Décembre

0° l'après-midi le dégel semble commencer, le thermomètre monte d'un degré.

Question de Père au Ministre de l'Instruction Publique relative à la laïcisation des écoles congréganistes du département de la Seine. J'assiste à la séance avec Adèle, Marie, Marguerite et Geneviève.

Dimanche 21 Décembre

10° glace l'après-midi je vais avec Charles jusque chez Mme Cronier rue de Suresnes près de la Madeleine. En passant sur les ponts, nous apercevons une quantité de personnes se promenant sur la glace au milieu de la Seine. La Seine forme dit-on un plancher des plus solides et des plus inébranlables. On peut la passer sans danger en plusieurs endroits. Il serait possible d'y installer des baraques et d'y établir une foire.

Lundi 22 Décembre

13° de glace. Une grande affluence de monde descend sur la Seine; la vue du haut du pont des Arts est des plus pittoresque; des glissades sont organisées, mais la glace est trop raboteuse pour que les patineurs puissent s'y établir.

Mardi 23 Décembre

9° de glace. Je conduis Charles sur la Seine. Nous descendons derrière la statue de Henri IV sur le Pont-Neuf. Charles d'abord très craintif (je suis obligé de le prendre de force sous le bras pour le décider à entrer en Seine) prend un peu d'aplomb au bout de quelques minutes; il s'amuse à ramasser des morceaux de glace et à les lancer devant lui mais il évite les endroits glissants et me supplie de ne pas le faire glisser. Je I'y décide cependant; larmoyant d'abord, il finit par y prendre goût et c'est lui qui à la fin de notre promenade recherche la glissade. Je ne lui lâche pas la main, il est vrai, mais il se campe ma foi très gentiment sur ses jambes, les pieds bien posés, le corps bien droit et je le traîne ainsi tout le long des glissades. Nous passons ainsi sous le pont des Arts, le pont des Saints-Pères et le Pont Royal et nous revenons par le ponton de l'Ecole des Beaux-Arts. Il est enchanté de sa promenade et rapporte un glaçon à sa mère et à sa petite sÏur.

Mercredi 24 Décembre

10° de glace. Je conduis Charles et sa maman sur la Seine mais la Police en interdit l'entrée à tous les endroits où nous nous présentons.

Jeudi 25 Décembre

Nous allons avec Sophie et Charles nous promener du côté de la Seine mais toutes les descentes sur la Seine sont sévèrement gardées par la police et des affiches du Préfet de Police interdisent la circulation sur la rivière gelée. Cependant vers 4h le public force la consigne et 15.000 personnes environ se promènent sur la glace jusqu'à la tombée de la nuit.

Mardi 30 Décembre

1° au dessus; l'après-midi 4°. Antoinette Lambert vient dîner avec nous. Après dîner, elle fait de la musique. Charles très attentif paraît très content; il bat la mesure avec la tête puis tout le corps est en mouvement. Après l'exécution d'un morceau, voyant que sa cousine n'a pas de musique devant elle, il va lui ouvrir un livre d image qu'il pose sur le pupitre et lui demande avec un grand sérieux de lui jouer ça.