APPEL AU JURY

Bal travesti des Petites-Dalles (1936)

 

Suivant la saine tradition

Et dans une ardeur mutuelle

Nous avons eu la prétention,

Pour cette soirée annuelle,

Jouvenceaux comme jouvencelles,

Anciens, point encor décollés,

Cherchant avec soins nos modèles,

D'être ici les plus beaux Dallais.

 

Des greniers vidant les tréfonds

Riche de tant de brocatelles,

Nous avons combiné chiffons,

Dorures, rubans et dentelles,

Dans Molière où l'humour ruisselle

Nous avons relu, compilé,

Convaincus, sous cette tutelle

D'être ici les plus beaux Dallais.

 

C'est ainsi que nous vous offrons

La truculente clientèle

De ce malade vieux barbon,

Imaginaire qu'on appelle :

Docteurs, notaire, péronnelles,

Amoureux, tous ont défilé

Dans le désir, qui les harcèle,

D'être ici les plus beaux Dallais.

 

Envoi

 

Grand Jury, ne sois pas rebelle ;

De fierté nous serons comblés

Par ta parole solennelle

D'être ici les plus beaux Dallais.

 

 

 

 

 

LOTERIE

Chanson sur l'air de Vincent Hyspa (1)

 

Sautons, sautons légèrement

Sautons Monsieur le Président

 

1

Pour comprendre l'Alsace

Et ses hôtes charmants

Le courrier perspicace

Remit des documents

Lisons, lisons avidement

Lisons Monsieur le Président.

 

2

Mais qu'il est téméraire

Sans trahir l'équité

Avec sept exemplaires

D'plaire à chaque invité

Cherchons, cherchons loyalement

Cherchons Monsieur le Président.

 

3

Mon dieu que je suis bête

Dit le Président soudain

Mettant dans son assiette

Vingt et cinq bulletins

Comptons, comptons exactement

Comptons Monsieur le Président.

 

4

Alors le secrétaire

Au coeur toujours ardent

Dit : "les gagnantes d'vront faire

Des bécots au Zidents"

Tendons, tendons coquettement

Tendons nos joues, mon Président.

 

5

Puis sur chaque exemplaire

De son stylo hâtif

Le Président dut faire

Un mot définitif

Dédicaçons habilement

Dédicaçons mon Président.

 

6

Pensant aux opuscules

Et r'luquant les billets

Chacun de nous calcule

Le truc pour resquiller

Veillons, veillons

Veillons Monsieur le Président.

 

7

Mais ce qui déconcerte

Et j'en suis confondu

Des droits, j'ai vu le geste

Des droits furent vendus !

Vendons avantageusement

Vendons les baisers du Zident !

 

8

Toutefois ça c'est drôle

Et nous rend la gaieté

Par l'âme qui console

Ces droits fur't achetés

Achetons délibérément

Achetons notre Président.

 

9

Mais après cette grêle

De baisers bien moulés

Le pauv' battait de l'aile

Eteint sous les boulets

Baisons, baisons mon Président

Mais baisons raisonnablement.

(1) Vincent HYSPA - Chansonnier

 

 

 

 

 

 

REMERCIEMENTS

En 1930 Gaston Micard a fait éditer une relation de voyage aux Indes, à Ceylan, en Birmanie, et m'en a adressé gracieusement un exemplaire numéroté.

 

Mon cher ami, j'ai bien reçu

Les "fleurs de jasmin" que tu m'offres ;

Et les tableaux, qui, de tes coffres

Aux vieux souvenirs, sont issus,

M'ont fait vivre ton beau voyage !

 

Mille fois sois remercié !

 

Devant mes yeux extasiés

Tu fais défiler des images

Que l'esprit à peine conçoit.

 

En te lisant je te revois

En wagon, en cargo, à pied ;

Dans la poussière de Sarkieh ;

Sur les cimes à l'air si pur ;

Sans monnaie, un soir à Jaipur ;

Tous près de ce palais des vents,

Où mille clochetons mouvants

S'offrent aux baisers de la brise

Pendant que leur chanson te grise ;

Dans la Chandni Chauk de Delhi,

Noblement drapé dans les plis

D'une robe couleur vieux rose,

Et coiffant ta métamorphose

D'un léger turban d'or lamé ;

Ou dans Peschawar alarmé,

Epiant au fond des boutiques

Les éclairs d'yeux énigmatiques,

Braqués comme des pistolets

Tout prêts à te dégringoler.

 

Dans le fossé de cette route,

Sous la même ombrelle que toi,

J'aurais voulu casser la croûte :

Sandwichs, fromage et café froid !

Mais les lascars d' Ali Masjid,

De poignards terribles armés,

Ne m'eussent-ils point alarmé,

Bien que surveillés par David ?

 

Qu'il eût été étourdissant,

Ballotté comme par la houle,

D'être roulé dans cette foule

De bêtes et gens glapissants,

Qui, trimballant tout le bazar

De leurs cocasses caravanes

Vers Caboul ou vers Peschawar,

Mettaient votre voiture en panne !

 

Que ne-fus je chez ce rajah,

Où pendant trois jours tu logeas !

Confortablement allongé

Dans des draps de fine batiste,

Par des dentelles prolongés,

Tu rêvais, courageux touriste,

Comparant ton mol traversin

A la planche du capucin.

 

Tu t'en fus un jour à la chasse,

Monté sur un grand éléphant,

Et du haut de cette terrasse,

Tu dominais, philosophant.

 

Que je t'envie, heureux veinard,

Et combien je te félicite

D'avoir vu jouer au billard

Le maharajah et sa suite !

Mais c'eut été, mon cher, bien mieux

D'être un peu plus audacieux.

Je sais ta paresse native,

Ton indifférence sportive.

Je comprends que s'initier

Dans un premier combat princier

Rend un début plus difficile ;

Mais tu n'es pas si malhabile.

 

Tu devais, mon cher Micard,

Essayer ta queue au billard,

Ou bien, au tennis, quelques balles.

 

Question de fierté nationale !

 

De là, tu partis pour Agra :

Agra, ville aux rêves de marbre,

Qu'un divin génie engendra :

 

Et ces marbres, parmi les arbres

Qui leur donnent ces reflets verts

Sont les plus beaux de l'univers :

Les blancs, les bleus couleur de lune,

Les purs, qu'une veine opportune

Vient rayer d'un trait capricieux,

Les noirs, les rosés, les laiteux.

Les eaux claires de la Jumna,

Fleuve sacré du dieu Krishna,

Offrent à ces splendeurs la glace

De leur nette et pure surface.

 

Vingt cinq ans sont écoulés

Bientôt depuis que tu roulais

A travers ce pays hindou :

 

Les souvenirs en sont bien doux !

 

Mais je crains, cher anachorète,

Que tu n'aies pas tout bien conté,

Tout expliqué, tout rapporté :

 

Je veux parler de tes conquêtes.

 

A ce mariage du terroir,

Derrière un grillage discret,

Tu vis, avoues-tu, certain soir,

Des yeux noirs remplis d'intérêt.

 

Vision du ciel trop éphémère,

Que voulait cette bayadère,

Qui jouait et dansait pour toi

Pleine de langueur et d'émoi ?

 

Et dans le train quittant Agra

Cette toilette vaporeuse,

Opportunément savoureuse,

Qu'une blonde anglaise arbora,

Voulait-elle te fasciner

...Pour suppléer à ton dîner ?

 

Que voulaient ces mandaléennes

A l'allure de magiciennes

Qui venaient, tournaient, s'esquivaient

Pour pouvoir mieux te captiver ?

 

L'émotion perce à chaque mot

Dans les pages dévotieuses

De cette excursion merveilleuse

De Mandalay jusqu'à Bahmo :

 

Une fée a dû te charmer

Pendant ces cinq jours de voyage

Une ou peut-être davantage,

Tu ne nous le diras jamais.

 

Mon bon ami, à ton récit

J'ai goûté un plaisir extrême,

Je te redis un grand merci

Et je te dédie ce poème.

 

Cependant, avant de finir,

Veuille accueillir une requête :

L'oeuvre que tu viens de m'offrir

En tous points est oeuvre parfaite ;

Une chose y manque pourtant

C'est ta griffe, pas davantage.

Signe moi la dernière page,

Je serai tout à fait content !

1931

 

 

 

 

 

 

BALLADE BORDELAISE

A Michel Carrère

 

I

 

Si je veux chanter une aubade

Au vidame de Magnoac

Ce n'est pas sans avoir le trac

De dire choses un peu fades.

Mais, en remuant bien mon sac

Je pondrai bien une ballade

Et sans en devenir malade

Je m'en tirerai ric à rac.

 

II

 

Il est fin comme une naïade

Ce cousin du grand Bergerac.

Il ne manque pas d'estomac

Comme tous ceux de la pléiade

Des gascons aux fiers noms en ac,

Qui savent donner l'estocade

Tout aussi bien que la parade

Et s'en tire toujours ric-rac.

 

III

 

Comme il lançait bien la grenade

Au front, près de Berry-au-Bac

Ou du "Vieil Armand !" Quel tabac !

Chacun en prenait pour son grade,

Les balles pleuvaient drues, flic, flac.

Michel, sans la moindre bravade,

Etait, comme à la promenade,

Et, gascon, s'en tira ric-rac.

 

IV

 

Il fut blessé à la façade

De derrière, au bas du bissac,

Et dû passer dans un hamac

A Buffon des jours peu maussades.

Il n'y paraît plus, et son frac

Le moule en superbe torsade,

Au dancing il fait la glissade.

Il s'en tire mieux que ric-rac.

 

Envoi

 

Prince clément, ô Carrère, ac-

Cueille indulgent ma sérénade,

Et me donne ton accolade

Pour m'en être tiré, ric-rac...

Valenciennes - 6 mars 1926

Ballade impromptue, écrite en un quart d'heure après le dîner au Restaurant Verdonck.

 

 

 

 

 

 

L'AFFAIRE PAGNON (1908-1910)

Drame vécu

Se chante sur l'air du "Pendu"

 

I

 

Il y avait dans cette affaire

Deux oncles avec leur neveux,

Un vieux juif, un gendre, un beau-père

Qui s'agitaient à qui mieux mieux.

Et dans la grosse mécanique

Où s'excitèrent nos héros

La plupart d'entr'eux, c'est logique,

Y pigeaient bien moins que zéro.

 

II

 

Monsieur Bloch avait mis par terre

Les Elwell à qui pour cela

Il avait avancé naguère

Du pèze, puis les étrangla.

Il mit à leur place pour faire

Ce qu'il voudrait , le vieux fripon

Deux horlogers, dont il espère

Que l'ignorance aura du bon.

 

III

 

Mais nos horlogers, volontaires,

A l'entrée gravèrent "PAGNON",

Et puis conduisirent l'affaire

Sans se gêner, à leur façon.

Ce voyant, le commanditaire

Leur adjoignit un beau matin

Son neveu, calé dans les pierres

Et naturellement youpin.

 

IV

 

Entre temps dans cette galère

J'avais désiré, triste souhait,

Entrer, et grâce à mon beau-père

Cela s'était vivement fait.

Mais le père Bloch qui préfère

Avoir toujours à faire à deux,

Prit Léniau pour faire la paire,

Un ingénieur très ingénieux.

 

V

 

Nous voilà donc six dans l'affaire

Deux Pagnon, deux Bloch, deux agents.

Le septième c'est mon beau-père

Qui est derrière le paravent.

Chacun commandait à sa guise

Comme il convient différemment.

Les affaires en voyaient de grises

Et s'en allaient, dégringolant.

 

VI

 

Le père Bloch dont les pépètes

Dansent la gigue éperdument

Les voit filer, filer, s'inquiète

Recherche des redressements.

Léniau s'en fout, moi je m'embête

Pagnon le jeune s'en bat l'oeil

Le neveu Bloch croit, et répète

Que c'est lui qu'il faut au fauteuil.

 

VII

 

Pagnon l'ancien, un gros bonhomme,

Réjoui et gala-bon-temps,

En maigrit le pauvre homme, en somme

C'est un bien fâcheux contre temps !

Mon beau-père, et cela c'est drôle,

Qui prend sa retraite bientôt,

Prié par Bloch reçoit le rôle

De sauver affaire et magot.

 

VIII

 

Il réfléchit, puis prend sa canne,

Son gendre et le neveu de Bloch

Et s'en va, tranquille et très crâne

Porter sans trac le premier choc :

"Messieurs, nous venons vous soumettre

Un projet qui paraît fort bien,

Désormais, nous serons les maîtres,

Et vous, ici, ne serez rien.

 

IX

 

Le deux Pagnon se regardèrent

Puis le jeune, sans dire un mot,

Prit son chapeau à la patère,

Le mit et partit aussitôt.

L'autre, sans chercher un sourire

Répondit à son visiteur

"Pour vous c'est bien, pour nous c'est pire

Mais j'y songerai : serviteur".

 

X

 

On attendit plusieurs semaines

Ce qui sortirait de tout ça.

Monsieur Bloch disait l'air amène

"Attendez, ils n'en sortent pas"

Mais les deux Pagnon en sortirent

Et dirent à tous ces gêneurs

"Nous en sortons, et pour mieux rire,

Sortez aussi, tas de crâneurs".

 

 

 

 

 

 

 

Sur le même air, autre sujet, autre milieu (décembre 1921)

FOUDROYE

A Monsieur Léon de Vathaire, cycliste infatigable, et père de ONZE enfants.

 

I

 

Sur le plateau de Margeride

En revenant de Marvejols

Chaîne tendue, guidon rigide

Un cycliste brûlait le sol,

Il poussait, la figure en nage

Ayant eu plusieurs avatars

Répétant, Léon, du courage

Sans quoi tu vas être en retard.

 

II

 

Cinq jours plus tôt faisant la route

En sens inverse, il avait eu

Deux trains manqués, et c'est sans doute

Pour cela qu'il avait voulu

D'un autre moyen faire usage

Moyen sûr, du moins quand on part :

Allons-y, Léon, du courage

Sans quoi tu vas être en retard.

 

III

 

Le ciel est pur et son coeur vibre

Ce voyage est vraiment un jeu

Comme la roue, la route est libre

Graissons partout, gonflons les pneus

Quittons sans regrets ces rivages

Il est déjà huit heure un quart

Allons-y, Léon, du courage

Sans quoi tu vas être en retard.

 

IV

 

Comme cycliste il est un maître.

D'un vigoureux coup de jarret

Il déroule les kilomètres

Sans douleur comme sans arrêt.

En vitesse il prend les virages

Aux pentes, file comme un dard

Répétant, Léon, du courage

Sans quoi tu vas être en retard.

 

V

 

Mais voilà le ciel qui se charge

De nuages lourds et épais

Voici la pluie en gouttes larges

Cycliste tu vas écoper.

Méfie toi de ces noirs nuages

Sans faiblesse pédale, car

Il te faut, Léon, du courage

Sans quoi tu vas être en retard.

 

VI

 

Son habit n'est plus qu'une éponge

Et la route n'est plus qu'un lac

A chaque coup de pied il plonge

Jusqu'à la cheville, flic, flac.

Le tonnerre et le vent font rage

Mais au milieu de ce pétard

Il se dit, Léon, du courage

Sans quoi tu vas être en retard.

 

VII

 

Soudain un choc plein de lumière

Immobilise le héros :

Il est assis, et le derrière

Dans trente centimètres d'eau.

Il se relève, plein de rage,

Le sourcil crispé, l'oeil hagard,

Mais s'écrie Léon, du courage

Sans quoi tu vas être en retard.

 

VIII

 

Subitement il se rend compte

Qu'étant déjà presque noyé

Cet avatar n'est qu'un à compte

Et qu'il vient d'être foudroyé

Il n'a, lui, que peu de dommage

Mais sa bécane est au rancart.

Allons, Léon, reprends courage

Sans quoi tu vas être en retard.

 

IX

 

Mais, après tout, il se console

Puisqu'il sort de là tout entier.

Que sa bécane se gondole

Et s'il le faut qu'il rentre à pied,

Pourvu qu'il puisse à son image

Avoir un douzième moutard

Répétant, Léon, du courage

Sans quoi tu vas être en retard.